22h30
Allongé confortablement dans l’obscurité, il me faut un peu de temps pour m’accoutumer au silence. Je perçois un léger souffle de vie à mes côtés, entrecoupé par le va-et-vient de la respiration de ma femme.
Ce silence assourdissant me donne le temps de comprendre que je suis vivant !
Le jour d’avant
Le soleil est levé et le chauffage de la voiture transmet une douceur à l’habitacle. La voiture devant moi me coupe la route en faisant rugir son moteur. Ce n’est pas le premier à couper deux files en urgence, pour sortir de l’autoroute comme s’il découvrait au dernier moment que c’était le chemin qu’il devrait prendre. Le regard qu’il me jette lorsqu’il ralentit sur l’embranchement de sortie ressemble à la détonation d’une balle de fusil. Je détourne la tête pour l’éviter, et laisser l’égo de ce chauffeur chanter à tue-tête qu’il est le roi du monde.
La radio diffuse son lot de paroles « d’argent », usé par le temps, répété, ressassé, articulé comme une pensée nouvelle qui ne l’est pas. L’idée de celui qui se prend pour un prix Nobel irrite mes sens comme une craie sur un tableau noir.
L’éloquence d’absurdité qui tire la population vers le bas retentit comme un bac à poubelle déposé par un camion-benne à l’aube du jour.
Je change de station ; politique, rengaine, haine et jugement sont devenus un larsen strident qui s’imprègne comme une normalité dans mon système nerveux.
Je quitte l’autoroute pour me rendre au bureau.
Au feu tricolore, j’arrête la radio. Je préfère m’entendre penser pour choisir ce que je veux percevoir. Je désire choisir mon état d’esprit pour rencontrer mes clients. Je tourne la tête et croise le regard d’un homme dans la voiture d’à côté. Il me sourit. Je ressens comme une libération qui me transporte, il m’a vu… j’existe à travers un autre.
Je souris à mon tour l’accompagnant d’un petit hochement de tête, apaisé comme un pianiste de jazz qui laisse courir ses doigts sur chaque note langoureuse.
Face à moi, des panneaux de travaux, des camions et des pelleteuses, des hommes emmitouflés discutent dans cette cacophonie de moteurs, de pots d’échappement, de bips de recul d’engins de terrassement, de voitures de police pour la circulation et des gyrophares qui illuminent d’un son perçant les parebrises des voitures.
C’est mon tour, marche avant et clignotant pour me garer dans ce sous-sol qui m’emportera, avec son ascenseur au 7e étage, où je pénètrerai dans le bureau qui recevra mes clients du jour.
1 heure avant
Assis sur mon canapé, je repasse ma journée.
J’ai fait mon possible pour aider, accompagner, changer des stratégies comme des schémas silencieux qui se sont proposés à moi tout au long de la journée.
Je ne sais pas si c’est l’âge, mais j’ai par moment l’impression d’être sourd aux émotions.
Toute cette nuisance devenue normale, ces images imposées par les publicités ou les vidéos qui imprègnent mes pupilles ne sont que de la pollution imposée, manipulée par le besoin d’un monde qui veut exister.
Je ne veux plus les entendre et mon cerveau a trouvé comment leur échapper. Il transforme ces chants d’émotions en graphiques d’évidences. Il supprime les sentiments, les conspirations et les traumatismes pour les transformer en symptômes. Un simple mot qui regroupe les troubles perçus pour rechercher le besoin qui l’a créé.
Je n’entends plus la souffrance, même si mon corps vibre en accord avec la douleur nommée. Les mots et les images deviennent une matrice où découle le schéma du Sapiens qui désire être aimé, possédé, être vu et reconnu.
Dans ce brouhaha de contenu énoncé, je dessine alors un Nouveau Monde où le bruit s’atténue, se dissipe pour esquisser un calme d’impressions en couleurs ; seul le son du soleil sur la peau accapare la pensée. Chacun de ses rayons consume ce qui ne nous appartient pas, rejette les arguments, proverbes et élucubrations entendus pour faire la place à des évidences conçues dès la genèse de l’humanité :
Action, conséquence et pensée = symptôme
Symptôme crée l’émotion
L’émotion cache le besoin.
Un canevas simple et facile, un calque à déposer sur tout bruit auditif, visuel et sensoriel. Plus besoin de s’agiter, de crier ou de fanfaronner, de jouer un rôle de faux semblant amplifié par l’égo à la recherche de buzz.
Il suffit d’observer et de laisser l’Intelligence artificielle que l’on considère comme un cerveau faire le reste.
Il devient évident que percevoir les vibrations de sons, d’émotions et de lumière comme de simples indices peut nous emporter dans une série où nous avons la possibilité de jouer un rôle ou de zapper sur un des milliards d’histoires qui jouera du Rap, du Jazz du Classique ou d’un silence qui saura nous combler.
Ce silence qui est « d’or » est la représentation du vase communicant où le vide est nécessaire à l’équilibre.
Échappez, vaporisez, atomisez les bruits des villes, les autos et les klaxons, les climatisations, les joyeux fêtards de la nuit, les histoires racontées par le frère ou la sœur, la belle-famille ou les parents, le collègue, le conjoint, Facebook ou Twitter, le machiste, la féministe, le Woke, le complotiste ou non, antiques croyances, regards de l’autre et attentes injustifiées, dois-je utiliser le "iel" dans mes chronique...
Retirez-vous; là où l’indispensable ne l’est plus, là où le silence retentit dans le vent, caressant la nature emplie de sagesse, là où il n’est pas nécessaire de porter le temps au poignet, mais de vivre avec.
1 minute avant
Je ressens le poids de mon corps sur le sommier, il s’enfonce tranquillement alors que mon esprit est de plus en plus léger. Ma montre intelligente retentit dans mon poignet pour analyser mon sommeil, lourde et bavarde, éclatante de résonance reliée par Bluetooth à mon téléphone.
Dans un mouvement lent, je la décroche et la pose sur son support. Ce soir règnera le son de l’indifférence primaire, statue nécessaire à la survie.
Maintenant
Je suis là, les yeux fermés, bercé par la respiration à mes côtés et juste avant de basculer dans le néant du sommeil j’ai le temps d’entendre « silence… je vis».
Faites confiance à la partie qui sait…
Emmanuel
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